Romain SIMENEL,
Bénéficiaire d’une subvention de recherche, 2009
& Mohammed Aderghal, Mohamed Sabir, Laurent Auclair
Mots-clés : Maroc, ontologie, politiques coloniales, politiques publiques, forêt, code forestier, rituel, limite, droit coutumier, analogisme, naturalisme
« L’objet ici n’est donc pas d’ériger la gouvernance coloniale en une ontologie dominante réfractaire à toute interaction avec les manières d’exister localement et dont la vocation serait explicitement de les détruire, mais il n’est pas non plus de réduire leur rapport à une hybridation utopique amenant à un référentiel commun et pacifié dans le cadre de l’émergence du principe d’Etat Nation. Si les postcolonial studies ont souvent réduit l’action des sociétés locales face au pouvoir colonial à un « rituel de rébellion confortant in fine la domination coloniale et postcoloniale », leurs détracteurs ont souvent répondu en invoquant des logiques assimilationnistes et progressistes pour justifier l’appropriation de la modernité, notamment politique, sous la forme de l’Etat-nation (Bayart 2010:54). L’une des raisons de ces travers réside dans le fait que l’Etat soit trop souvent vu comme un bloc institutionnel dépersonnifié, alors que la société locale est dépliée selon la diversité de ses acteurs. L’analyse des rapports de force entre Etat colonial et société locale est souvent réduite à un rapport de domination de l’institutionnel (l’Etat) sur le relationnel (la société). En mettant au centre de notre analyse les relations entre forestiers et usagers coutumiers de la forêt, l’accent est mis d’entrée sur un renversement de la problématique, à savoir que l’Etat se voit personnifié sous la forme d’un acteur en relation à la fois avec des acteurs locaux et des supérieurs hiérarchiques au sein d’une administration. En prenant un tel angle, il apparaît que bien loin des logiques de confrontation ou des logiques assimilationnistes et progressistes, les rapports entre pouvoir colonial puis étatique et société locale peuvent en fait découler d’un processus de négociation entre des modes de composition du monde qui finissent tôt ou tard par se familiariser pour cohabiter d’une manière ou d’une autre. Entre le choc des civilisations qui mènent à leur destruction et « l’appropriation de la réalité humaine » qui implique sa transformation (selon Marx), il y a donc des formes de familiarisation des manières d’exister les mondes au sein d’un empilement puis d’un agencement de réalités plus ou moins conjuguées selon lequel la raison structurante s’adapte plus ou moins à la raison gouvernante » (p.62).
En savoir plus, Anthropologica, Volume 58, Number 1, 2016, pp. 60-76 (Article)